Pourquoi rechercher des salaires est-il aussi dur?

Pourquoi rechercher des salaires est-il aussi dur?

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Yeona Lee
Spécialiste du service à la clientèle

Pour moi, il n’y a rien de pire dans la vie d’adulte que de chercher un emploi en ligne. Défiler à travers une infinité de pages sur Indeed et décortiquer l’ensemble des buzzwords corporatifs de notre siècle comme « synergie », « joueur d’équipe » ou encore l’anxiogène « environnement rapide » ne fait pas partie de mes passions. En fait, le pire du pire, c’est quand je suis prise devant mon écran à essayer de deviner ce que « salaire compétitif » veut dire. Non, pour vrai, c’est quoi? Je suis certaine de ne pas être la seule qui voit ces deux mots-là dans une offre d’emploi et qui assume immédiatement que c’est de la bullshit, une description floue pour se trouver des candidats à sous-payer.

Indeed définit un « salaire compétitif » ainsi : « une compensation qui inclut un salaire plus haut et des bénéfices plus généreux que ce qui est offert dans un poste ou une compagnie similaire ». Mais puisqu’on fait partie d’une culture qui considère les salaires tabous et où même en parler est un problème, comment est-ce qu’on fait pour savoir si le salaire offert est réellement compétitif?

La Loi sur l’équité salariale va-t-elle changer les choses? Un instant…

Qu’est-ce que c’est, en fait?

L’année dernière, la Loi sur l’équité salariale est entrée en vigueur1. Les employeurs sont tenus d’évaluer les lacunes salariales entre les genres et de créer un plan concret pour y remédier. Si ça ne vous dit rien, c’est peut-être parce que ces employeurs ont une période confortable de 3 à 5 ans pour que ça se fasse. Pour vous sauver un peu de temps, voici le TL;DR :

  • L’employeur est responsable d’évaluer les pratiques salariales et d’établir un plan d’équité salariale ou un comité d’équité salariale.
  • L’employeur est tenu de présenter le plan à ses employés pour qu’ils et elles le vérifient dans les 60 jours suivant la présentation.
  • Cette loi vise à résoudre la discrimination systémique des genres.

Si tout ça vous semble familier, c’est possiblement à cause de la Loi sur l’équité salariale passée en Ontario en 19872. Et oui, malgré celle-ci, les inégalités salariales existent encore et toujours en Ontario, ce qui ne fait que prouver combien ce problème est persistant3. En fait, ce n’est qu’il y a deux ans, après près d’une décennie en cours, que la discrimination salariale chez les sages-femmes a été reconnue par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario4. L’élimination de celle-ci a été planifiée, mais le gouvernement ontarien a tenté d’infirmer la décision dans l’année qui a suivi5.

Je ne suis pas là pour vous déprimer ou vous assommer avec jargon légal et statistiques. En fait, je veux lancer une discussion sur l’équité salariale et son lien avec la transparence et nos normes culturelles.

Les sites de recherche d’emplois sont un enfer.

Il y a une semaine, curieuse de voir les offres d’emplois pour une agente du service à la clientèle (mon emploi présentement), j’ai fouillé en ligne pour me faire une petite idée. Évidemment, j’ai vu mon quota de « salaire compétitif », mais j’ai aussi été frappée de voir à quel point les salaires offerts pouvaient être mystérieux (ou même mensongers). Ici6, par exemple, on m’offrait 1$/année (mais on va se le dire, l’énigmatique « paie bonus » m’a tellllement donné envie de postuler).

Malheureusement, c’est ça la normale et cette offre-là était sur la première page de ma recherche. Même si je doute que des compagnies offrent réellement 1$/année, c’est juste la preuve qu’elles n’en ont rien à foutre d’être transparentes à propos de leurs salaires.

Cette culture du secret salarial n’est pas d’hier. Dès notre plus jeune âge, on se fait dire que c’est impoli de parler d’argent. Les choses semblent changer peu à peu par contre. Les milléniaux sont plus nombreux à délaisser ces règles non écrites7 alors que les baby-boomers y sont davantage rattachés.

On s’entend, demander à un invité combien il fait au souper, ça peut être inconfortable, mais on doit commencer à se questionner quant aux motivations des compagnies d’entretenir ce tabou au niveau corporatif. Qui bénéficie de ces cachoteries et de ce manque de transparence? (Indice : pas les employés8.)

La transparence salariale d’oxio veut changer la donne.

À mon emploi précédent, j’ai reçu une augmentation en pleine pandémie de la Covid-19. Je cite le courriel me l’annonçant : « Nous n’offrons pas ni ne pouvons offrir ceci à tous nos employés, alors veuillez garder cette information confidentielle. » Même si, à l’époque, c’est avec plaisir que j’ai gardé le secret si ça signifiait que je pouvais rembourser mes prêts étudiants plus vite, j’ai fini par réaliser que ce manque de transparence était un négatif pour mes collègues et pour moi.

Je me rappelle un moment environ un an après cette promotion. Je me sentais à mon top… jusqu’à ce que je voie le chèque de paie de l’employée que j’avais remplacée. Je me suis sentie arnaquée. Non seulement avais-je repris ses tâches pour un salaire plus bas que le sien, mais je m’occupais encore des tâches de mon poste précédent.

En bref, avant la promotion, je faisais 16,20$ de l’heure (un peu plus que le salaire minimum de l’époque). La promotion avait été très généreuse, puisque mon taux horaire était passé à 20$ de l’heure. Par contre, je faisais alors le double du travail, on me contactait à toute heure du jour et de la nuit et mon travail s’est immiscé dans toutes les facettes de ma vie. Et la fille que j’ai remplacée? Elle faisait 25$ de l’heure.

En d’autres termes, ils ne me payaient pas à ma juste valeur. Et c’était le cas d’à peu près tout le monde (ok, j’ai possiblement jeté un coup d'œil aux talons de paie des autres employés). Pro tip : si vous êtes pour avoir un système de paie douteux, ne mettez pas les chèques de chacun dans des enveloppes ouvertes avec leur nom dessus.

J’ai longtemps considéré ce genre de comportement comme la norme, jusqu’à ce qu’oxio me présente le concept de « transparence radicale ». Quelques mois après mon arrivée en poste, un sondage anonyme a été envoyé à tous les employés. On y demandait comment on se sentirait si nos salaires étaient visibles à tous dans la compagnie ainsi qu’au grand public. Les résultats étaient quasi unanimes : tous étaient d’accord que les salaires soient publiés à l’interne, mais peu étaient prêts à les révéler de façon plus large.

Donc, oxio nous a écoutés et notre politique de transparence salariale a vu le jour (cliquez pour lire notre article sur le sujet). Et par souci de transparence, je vous informe qu’en tant qu’agente au service à la clientèle, je fais aujourd’hui 43 680$ par année.

Être transparent à propos des salaires est bon pour tout le monde, pas que la compagnie.

Les outils pour faire sa recherche de salaires existent, mais ils sont loin d’être accessibles. Les sites généraux comme Payscale et Glassdoor sont gratuits, mais ne représentent pas correctement le marché actuel ni l’expérience des travailleur.euses. Les bases de données plus précises, telles Option Impact, sont plus souvent destinées aux départements de RH. Donc, même si c’est techniquement possible de trouver de l’information sur son salaire, ce n’est pas facile. Les compagnies n’ont pas d’incitatif à dire à leurs employés « Hey, veux-tu savoir ce que les autres font pour ton poste? »

En date d'aujourd'hui, près de la moitié des travailleur.euses vivent avec des politiques de « secret salarial ». Ces politiques ne servent pas seulement à demander aux employés de ne pas parler de leurs salaires, mais bien à interdire ce genre de discussion9.

Il existe évidemment des arguments qui sont pour le maintien du secret autour des salaires. Le principal cite tout le drama que les différences salariales pourraient causer10. Mais c’est justement ça! C’est un problème seulement si l’employeur ne fait pas preuve d’équité salariale. Disons juste qu’Air Canada aurait pas mal préféré que les salaires de ses pilotes et agent.es de bord demeurent privés11. Voici un rapide résumé de la situation de 2006, au cas où :

  • Une plainte a été déposée par le Syndicat des Agents de Bord du Canada en 1991 lorsque les salaires supérieurs des postes majoritairement masculins ont été découverts.
  • Air Canada a décrété que les salaires des pilotes, des agent.es de bord et du personnel mécanique n’étaient pas censés être égaux dû à leur adhérence à différents « établissements ».
  • La Coure suprême a jugé que, en fait, ils et elles appartenaient effectivement au même établissement.

Alors si vous vous demandez à présent ce qu’une compagnie aurait à gagner en s’adonnant à la transparence salariale, et bien, c'est simple : des employé.es qui sentent que leur travail est bien rémunéré ont tendance à mieux performer12. Et je peux vous confirmer qu’après avoir regardé ce que certain.es de mes collègues font chez oxio, je suis plus déterminée que jamais à leur voler leurs emplois (si vous êtes d’oxio, je fais des blagues).

C’est pas des blagues.

Je ne vais pas faire semblant qu’oxio est la première compagnie à établir une politique de transparence salariale. En fait, Starbucks a instauré la sienne il y a quatre ans, et elle semble toujours fonctionner à merveille13. Savoir qui est le premier n’est pas important, tant qu’on peut pousser d’autres à le faire également. À plus petite échelle, on peut, nous aussi, commencer à changer les normes courantes en posant des questions, en n’évitant pas le sujet des salaires et en étant aussi transparent qu’on voudrait que tous le soient. Plus facile à dire qu’à faire, je sais bien, mais j’espère qu’avec ces changements, rechercher des salaires deviendra pas mal plus facile.

Article écrit par Yeona Lee avec la gracieuse assistance de David Purkis et Danilo Tubić et l'aide de Audrey Desgagnés et Michael Reid. Adapté par Danilo Tubić, en plus, hein, wow r'garde donc ça! (C'est aussi pour ça que je m'exprime au féminin, en passant.)

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