Aux antipodes du blind date, Internet, et plus précisément les applications de rencontre, nous permettent aujourd’hui de savoir tout d’une personne avant même de l’avoir rencontrée. Ce phénomène qui a parfois contribué à effacer toute trace de spontanéité a aussi permis à des personnes moins familières avec le dating traditionnel de prendre plaisir aux rencontres numériques. Comme quoi il y a du positif à avoir développé notre dextérité des doigts.
Note de moi à moi :
À l’agenda ce soir : une date avec Cassandre. Je vais aller la stalker un peu sur Instagram pour mieux la connaître et savoir de quoi lui jaser. [...] Hein! Elle aussi a fait le tour de l’Europe pour la première fois l’été dernier. Elle a aussi l’air de tripper sur Pomme. J’ai justement des billets pour son prochain show à Montréal. Si tout va bien, je vais lui proposer de venir avec moi. Wow. Sa photo à la Buvette est trop belle. J’ai d’ailleurs remarqué dans ses highlights qu’elle y allait quand même souvent. Elle doit aimer ça comme place. Puis j'aime le vin. Ça nous fait déjà ça en commun.
Cassandre : Salut Frede! Est-ce que ça fonctionne toujours pour ce soir? Je peux me déplacer dans ton coin si tu veux - j’ai un char. Ouan, je sais, c’est pas top sur le plan de l’environnement, mais bon.
Moi : Allô Cassandre. Je me disais qu’on pourrait peut-être aller à la Buvette? Parfait pour boire un verre pis… si on se trouve un peu cute, on pourra manger là. Pis sinon, on aura au moins pu se tremper les lèvres dans quelque chose de bon.
P.-S. - Pas d’stress pour le char. Je cherche justement une personne pour m’emmener en Gaspésie l’été prochain.
Cassandre : Je sais pas t’étais où avant aujourd’hui, mais parfait! Je serais à la Buvette tous les jours si mon portefeuille me le permettait. On se dit 19h?
Moi : Je sais pas où j'étais, mais en tout cas, je vais être là à 19h! À tantôt xxx
Cassandre : xxx
Internet, l’entremetteur
Il n’y a pas si longtemps que ça, le monde se rencontrait sans se connaître du tout, souvent à travers une connaissance commune qui prenait très à cœur son rôle de « marieuse » ou encore tout simplement grâce aux petits hasards de la vie. Si c’est encore le cas pour certaines personnes qui préfèrent rencontrer à l’aveugle, on ne peut nier que l’arrivée d'Internet a complètement bouleversé le dating. Avant même de se voir en personne, on a accès, entre autres grâce à tout ce qu’on peut trouver dans l’immensité des réseaux sociaux, à une mine d’or d’infos sur notre date.
Sauf qu’avant que les applications de rencontre soient devenues monnaie courante, on est collectivement passé·e·s par une période un peu étrange où on s’amusait à cacher le fait qu’on était sur Tinder ou une autre application du genre.
« Je suis sur Tinder, mais c’est une amie qui m’a inscrite. »
Il y a quelques années (dix dans le cas de Tinder, bonne fête, Tinder!), quand les applications de rencontre ont fait leur apparition, pas mal de personnes s’y sont inscrites en l’assumant peu ou pas du tout. Les plus chanceuses, nostalgiques du temps où on se rencontrait de manière plus naturelle et des relations monogames qui durent à la vie et à la mort, s'inventaient des histoires qu’elles allaient pouvoir raconter à leur famille lorsqu’elles leur poseraient la fameuse question : « Comment vous êtes-vous rencontré·e·s? ».
Même si certaines personnes sont encore aujourd’hui un peu frileuses à l’idée de les utiliser, les applications de rencontres font partie de la vie d’environ 48 % de la population âgée entre 18 et 29 ans.[1] La preuve : 75 millions de personnes utilisaient Tinder chaque mois en 2021[2]. Et ça, c’est sans parler de l’offre toujours grandissante d’applications de rencontre spécialisées qu’on retrouve dans l’univers numérique.
Démocratiser le dating, une application à la fois
Il y a quelque chose de foncièrement beau dans les applications de rencontre. Et malgré les intentions de superficialité qu’on leur prête, elles ont permis de démocratiser les rencontres pour des communautés où dater était moins accessible pour toutes sortes de raisons. Parce que oui, c’est pas mal plus difficile de dater quand t’es pas une personne hétérocis, blanche, mince, en parfaite santé, sans handicap et qui a un salaire qui lui permet de sortir toutes les semaines, par exemple.
On n’a qu’à penser aux personnes de la diversité sexuelle et de genre qui, vivant dans des régions éloignées, n’avaient pas beaucoup de ressources propices aux rencontres. Tinder, mais également toutes les applications 2SLGBTQIA+ comme Grindr, Her, Feeld ou encore Taimi, ont certainement contribué à faciliter leurs rencontres, mais aussi leurs échanges. C’est pas mal plus facile de swiper une personne qui pourrait être attirée par nous que de devoir demander à un·e inconnu·e qu’on rencontre dans la rue son orientation sexuelle. On peut aussi penser aux personnes qui souffrent d’une maladie chronique ou sont en situation de handicap, et qui appréhendaient sans doute le moment où elles devraient en parler avec leur nouvelle date.
Maintenant, les applications de rencontre leur permettent, lorsqu’elles le souhaitent, d’aborder leur situation à même leur profil ou dans les échanges pré-rencontre. Il existe même des applications de rencontre spécialisées comme Nolu, une application de rencontre québécoise qui offre « un cadre amusant, sécuritaire et inclusif » aux personnes en situation de handicap qui souhaitent faire connaissance.
Des premières dates plus intimes
Les applications de rencontre n’ont certainement pas miraculeusement permis à toutes les communautés vulnérables ou minorisées de soudainement s’émanciper des normes sociales qui dictent le monde du dating, mais elles ont au moins permis de créer des safe space de cruise où elles peuvent maintenant échanger en étant 100 % elles-mêmes. Elles sont aussi un peu devenues des filtres de tête-à-tête. Ce que je veux dire par là, c’est que grâce à elles, et donc à Internet, il est maintenant possible de poser toutes nos questions filtres avant une première rencontre, et donc de se concentrer sur le plaisir (peu importe sa forme) pendant les premières dates.
Au final, le duo Internet-applications de rencontre joue un peu le rôle de facilitateur et d’accélérateur de rencontres. Pis parce que tout le monde n’a pas la même aisance à cruiser dans les lieux publics, ces façons de rencontrer ont certainement amené beaucoup de beau, en dépit de tout ce qu’on peut évidemment leur reprocher (déshumanisation, fast dating, algorithmes discriminatoires, environnement pas tout le temps inclusif...). Pour la petite histoire : les applications de rencontre m’ont permis d’explorer ma sexualité et de rencontrer la plus belle personne du monde avec qui je partage maintenant un appart, un lit, un chat, un char et une vie au grand complet. Ça vaut toutes les fois où j’ai eu mal aux doigts à force de « jouer à Tinder ».
Cassandre : Merci encore pour la belle soirée d’hier, Frede! Je sais pas ce qui me faisait le plus triper entre tes yeux pis le grand cru qu’on a partagé.
Moi : Pis moi, je sais pas ce que j’aime le plus entre ton message pis le nouvel album de Pomme que j’écoute en boucle.
Cassandre : Impossible!!! Je trippe sur Pomme par-dessus-tout.
Moi : Je t’invite à son show dans deux 2 semaines en échange d’un lift vers la Gaspésie?
Cassandre : Deal!